Nomadic Utopia

Les vraies révolutions avancent à pas de colombes. Mais les traces de leurs pas deviennent de plus en plus évidentes. L'art en est un bon témoignage, qui, quand il sait sentir l'air du temps, anticipe ou, plutôt cristallise les manières d'être et de penser qui sont le propre de la vie sociale d'une époque donnée. En bref, il caricature ce qui est.

Voilà bien l'aspect prospectif du nomadisme que met en scène l'oeuvre de Katia Kameli. Renouant avec la sensibilité de l'utopie chère à Charles Fourier, ou avec celle qui fut le propre des surréalistes et des situationnistes, elle redit le grand jeu de l'errance.
Espaces de communication, où les affects circulent. Espaces suscitant une subjectivité collective. Toutes choses opposées à l'enfermement individualiste caractéristique du bourgeoisisme moderne.

Il y a de la dérive psychogéographique dans l'air. Katia Kameli la donne à voir. Et par là, invite à la vivre. Songeons ici à la Nouvelle Babylone de l'architecte situationniste Constant, ou encore au Nouveau Monde amoureux de Fourier. Tous les deux voyant dans la circulation l'expression naturelle de la créativité. Légèreté des constructions, leur aspect éphémère aussi. Laisser aller favorisant le laisser être. Pauvreté induisant une vraie richesse symbolique, suscitant des « lois de l'hospitalité » d'antique mémoire. Donner à être, donner à manger. La cuisine, on le sait, est un « fait social total ». Elle permet, telle une coupe histologique, de lire le corps social en son entier. C'est bien cette conjonction que nous présente Katia : une oeuvre du partage, une oeuvre de dégagement favorisant un plus être, individuel et social. Partage et participation, en son sens symbolique. Celui du jeu collectif. Qui fait de tout un
chacun un enfant éternel. En effet, l'on est de son enfance comme d'un pays, ce qui induit un paradoxe fondateur : celui de l'enracinement dynamique, celui d'une situation construite. Celui d'une matrice, où naît et se conforte l'émotion collective.

Michel Maffesoli, sociologue
Catalogue Bandits-mages


Plan de Nomadic Utopia, 2000. Courtesy Katia Kameli, ADAGP